Friedrich Nietzsche : Midi et éternité

          

« Nous avons besoin du sud à tout prix, d’accents limpides, innocents, joyeux, heureux et délicats. » Les hivers passés sur la Riviera par Nietzsche seront déterminants pour son œuvre. À tel point qu’aux considérations biographiques se mêlent les significations profondes d’une pensée à son point d’incandescence. Il est vrai que Nietzsche a su trouver ici un climat propice à recouvrer une santé meilleure et qu’il fut admiratif des paysages côtiers , plus encore, c’est le lieu même (sa situation géographique, ses antécédents historiques, une double communauté d’autochtones et de cosmopolites, le travail dans une solitude orgueilleuse…) qui le mettra en condition pour créer.

         

Car Nietzsche est artiste autant que philosophe, qui pense en marchant et qui a besoin d’un certain paysage pour écrire son chef-d’œuvre. Il a cette intuition : la Riviera sera le pays qui accueillera le théâtre de ses spéculations. Il se sent faire corps avec cette contrée où les montagnes plonge dans une mer bleue et où les étrangers sont comme dans un paradis sauvage et bienveillant.
Eze, Saint-Jean, Nice ("Nizza" comme il disait), c’est le sud, une forme d’affranchissement , un allègement de l’esprit, l’innocence inespérée. C’est aussi la sensation d’une certaine liberté d’action, la lumière, le soleil, l’azur, une chance d’adhésion aux forces vitales avec ses moments de beauté.

L’horizon méditerranéen lui a donné beaucoup d’énergie, un enthousiasme débordant, « ici, je crois au soleil, comme la plante y croît ». De ses ouvrages conçus à Nice, ressort un lyrisme débordant qui lui fait rejoindre les différentes formes d’art. Nietzsche effectuera 5 séjours à Nice qui alterneront avec l’Engadine et l’Italie. Fin novembre 1883, il a 39 ans et quitte Gênes pour Villefranche où il reste une semaine.

   
Nietzsche en 1861       Plaque commémorative

Premier séjour : 2 décembre 1883- 20 avril 1884

Il loue une petite chambre meublée 38 rue Ségurane dans le quartier du port, s’installant ensuite villa Marroleni, quartier Saint-Philippe puis en centre ville à la Pension de Genève, rue Rossini. Après de nombreux déboires, avec Lou, avec les mauvaises ventes de ses livres, ou sa brouille avec Wagner, il se retrouve très seul ; Il écrit à son ami Peter Gast, « 220 jours parfaitement sereins dans l’année ont fini de me décider : cette magnifique plénitude de lumière a sur moi, mortel "très supplicié", une action quasi miraculeuse. La partie "française" de Nice m’est insupportable… mais il y a une ville italienne – c’est là dans les quartiers anciens que j’ai loué- où l’on est comme dans une banlieue de Gêne. »

          
Le cas Wagner                            Nietzsche contre Wagner

Il raconte son bonheur à sa sœur, lui vantant que « les jours se succèdent ici d’une beauté que je qualifierais d’insolente. Je n’ai jamais vu d’hiver d’une perfection si constante. Et ces couleurs de Nice ! » Il y revient dans son livre Ecce Homo : « L’hiver suivant, sous le ciel alcyonien de Nice qui, pour la première fois, rayonna alors dans ma vie, j’ai trouvé le troisième Zarathoustra, et j’avais ainsi terminé. Cette partie fut composée pendant une montée des plus pénibles de la gare au merveilleux village d’Eze bâti au milieu des rochers… J’étais dans un parfait état de vigueur e de patience. […] Sous un ciel pareil, j’arriverai bien à faire progresser l’ouvrage de ma vie… »

Fin 1884, il est à Menton, endroit magnifique, j’ai déjà découvert huit promenades. Puis retourne à Nice

       
Résidences niçoises de Nietzsche : 38 rue Catherine Ségurane et 26 rue François de Paule

Deuxième séjour : 8 décembre 1884- 8 avril 1885

Il s’installe de nouveau à la Pension de Genève où il termine Ainsi parlait Zarathoustra, » ma symphonie » comme il l’appellera, intitulant cette quatrième partie « d’une manière probante », Midi et éternité.

Troisième séjour : novembre 1885- mai 1886

Il s’installe rapidement au 26 de la rue Saint-François de Paule, près de l’opéra. Il y termine Par delà le bien et le mal et écrit la préface de  Humain trop humain. Tout en reconnaissant les attraits de Munich, Florence ou Gênes, il préfère Nice, « me voici revenu à Nice, c’est-à-dire à la maison » écrit-il à Peter Gast, « j’entends sonner dans l’air quelque chose de vainqueur, une voix qui me donne confiance et me dit "Ici, tu es à ta place. »

          
Nietzsche, Lou & Paul Rée           Portraits de Nietzsche et Lou Salomé

Quatrième séjour : octobre 1886- avril 1887

Retour à la Pension de Genève mais à la fin de l’année, il déménage 29 rue des Ponchettes et travaille beaucoup :   il corrige Aurore et écrit le cinquième livre du Gai savoir. Soirée opéra où on donne Parsifal à Monte-Carlo, qui lui rappelle son ancienne amitié avec Wagner.

En février 1887, Nice est secouée par un violent tremblement de terre, « Hier, la cité clôturait son Carnaval et six heures après da dernière girandole à peine éteinte, nous avons été régalés par un divertissement d’un genre nouveau.  » Il décrit la situation, son encrier « qui se met à danser tout seul sur la table », la population qui campe dans les rues « comme le bivouac d’une armée en campagne »

Cinquième séjour : octobre 1887- avril 1888

La Pension de Genève, ébranlée par le séisme, devra être détruite, il en plaisante, «  pour la postérité, un pèlerinage de moins à faire. » Il travaille beaucoup et lit aussi beaucoup, surtout des auteurs français dont ce « grand latin Maupassant ».

Nietzsche quitte Nice le 2 avril 1888 pour Turin où quelques mois plus tard, un accès de folie qui brisa cet élan qu’il avait acquis sur la Côte d’azur.
C’est dans ce cadre qu’il trouvait propice à la création qu’il s’est projeté dans cet effort qu’il a théorisé dans son ouvrage La volonté de puissance.
Le chemin muletier qui va du bord de mer au centre du village d’Eze, serpentant entre les pins, les aloès et les oliviers, est souvent appelé "Le chemin Nietzsche".  

     
Vue du chemin Nietzsche à Eze

Sélection bibliographique
* Friedrich Nietzsche, Lettre à Peter Gast, réédition, introduction et notes André Schaeffner, éditions Christian Bourgeois, 1981
*  Charles Andler, Nietzsche, sa vie et sa pensée, éditions Gallimard, 1958
* Maurice Mignon, Nietzsche à Nice, éditions Meyerbeer, 1960
* Yves Semeria, Séjours niçois de Frédéric Nietzsche, Lou sourgentin, n° 70, Nice, 1986

<<< Christian Broussas –Nietzsche, Nice - 14/02/2017 < • © cjb © • >>>